Lundi 3 juin

Pendant la nuit, le vent et la mer ont forci. Le bateau gite beaucoup sur tribord, roule et tangue, et embarque de l'eau par-dessus la rembarde. Le changement de quart à 4h s'accompagne de l'affalage du grand foc, un peu sportif si j'en crois les pas précipités au dessus de ma tête. J'apprendrai plus tard qu'ils ont affalé la voile dans le noir complet, et Cyril à l'avant se ramassait les vagues qui lui amenait à chaque fois de l'eau jusqu'aux genoux, bottes remplies... (les dalots d'évacuation de l'eau sont trop petits pour évacuer rapidement toute l'eau qui entre par-dessus bord : ça fait piscine...).

Olivier ayant assuré que les planches anti-roulis n'étaient pas utiles, depuis une heure je tente de me cramponner à mon matelas et de m'étaler le plus possible, bras et jambes en croix, pour essayer de ne pas partir à la gite. Il faudra finalement sortir de dessous le matelas la planche anti-roulis qui restera à poste jusqu'à la fin du voyage. C'est quand même plus serein. Le quart de minuit-4h vient se coucher, fatigué, trempé (en plus, il pleut...). Paul glisse sur le plancher mouillé et fait un beau vol plané. Jean-Pierre se relève pour l'aider. Juste à ce moment-là, une vague plus forte que les autres balaye le pont sur une hauteur suffisante pour recouvrir les écubiers d'aération et un belle colonne de plusieurs litres d'eau de mer se précipite dans la cabine, visant très précisement Jean-Pierre et sa couchette... Il est furieux, ce qui est compréhensible, et on l'aide à se remettre au sec... Il en rira le lendemain...

Au petit matin je n'ai pas du tout faim, et j'ai hate de prendre l'air... Le soleil revient quand notre quart commence, et je tombe de sommeil. Le vent a encore tourné et on fait route au 15. La mer est belle, ceci dit, pas "mer belle" comme dans les bulletins météo, mais belle pour les yeux, avec une longue houle de 2 m (parfois un peu plus) qui va nous accompagner encore pendant quelques jours, de beaux moutons... Le bateau glisse et roule sans à-coup, soulevant des gerbes d'écumes. La vague d'étrave, son grondement, sont impressionnants. Si on va à l'avant, on n'entend que le grondement de la vague d'étrave, qui couvre le bruit (d'ailleurs pas épouvantable) du moteur (quand il est en route). Bon, il faut capeler les cirés, parce que ça arrose, mais on a l'impression que le bateau respire avec la mer, et on se surprend à ajuster son propre rythme de respiration sur celui de la goélette...

       

Nous sommes au près très serré, il faut faire attention à ne pas mettre le hunier à contre, et Rodolphe et Olivier préfèrent garder la barre ("c'est chiant à tenir"). Je n'insiste pas ! On avance quand même à 5-6 noeuds. Quand on laisse le quart à midi, Le Fastnet est à 90 milles dans le 310. A 16h quand j'émerge, un peu reposée, de la sieste, le vent a adonné et on fait cap au 330, toujours au près serré, à 6-7 noeuds. Fastnet à 71 milles dans le 300.

A 20h à la voile seule on ne fait pas mieux que 360. On cargue la misaine et les huniers pour faire route plus serré en s'appuyant au moteur : cap 310-315. Coucher de soleil somptueux. On ne se parle pas beaucoup pendant ces quarts du soir, à part pour s'échanger les instructions au moment du changement de barreur et les demandes de café ou de petites choses à grignotter. Et pourtant, on est tous là, ensemble, sur le pont, à vivre ces moments dont on savoure chaque minute, en regardant partout sur l'horizon les vagues, les nuages et les quelques cargos qui passent. On croise quelques bateaux de pêche aussi, clignotants comme des voitures de pompiers...

A 23h, enfin, on aperçoit les premiers feux de la côte. Olivier identifie Old Head of Kinsale. A minuit, Fastnet à 45 milles dans le 266. On devine déjà ses lumières derrière l'horizon...

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