Dimanche 2 juin

Pendant la nuit, le vent a tourné radicalement, et est maintenant Nord-Ouest, mais toujours gentiment 3-4. On a donc changé d'amure et on fait route au Nord, près serré (mais bon, ça n'est pas vraiment un bateau qui remonte très bien au vent). Pendant mon quart du matin, on renvoit la misaine et le grand hunier (on a donc dû arrêter le moteur). Le temps est gris ce matin, mais se lèvera dans l'après-midi : encore soleil !

C'est sportif, l'envoi de la misaine (bon, les autres aussi, mais celle-là...). Elle est carguée le long du mât. Il faut donc en même temps larguer les cargues (au pied du mat) et dérouler puis bloquer la voile, alors que le vent se prend dedans. On met donc 5 ou 6 costauds en lignes sur l'écoute, près du point d'écoute, et un autre pour récupérer le mou et bloquer au taquet. Au signal, quand les cargues sont lachées, les 6 costauds doivent courir vers l'arrière avec l'écoute, en se battant contre le vent qui gonfle immédiatement la voile. Pas facile à border... Les huniers sont eux aussi cargués le long des bras de huniers, mais là il faut un gentil volontaire (merci Cyril) pour grimper dans la mature et défaire les cargues d'en haut. Le même gentil volontaire (ou un autre, merci Franck) devra refaire l'opération inverse quand on amènera ces voiles. Idem pour la voile d'étai d'ailleurs. Idem aussi pour les focs, surtout le grand foc, qui doit être ferlé le long du bout-dehors, obligeant un (parfois deux) marins à aller faire les équilibristes tout au bout, alors que la voile bat dans le vent... Sport, très sport. Ils ont un harnais, mais quand même.

       

Un waypoint est indiqué sur l'écran du radar GPS : 150 milles dans le 320. Quand le capitaine sort pour prendre son quart, je m'informe sur la nature du waypoint : "Le Fastnet". Ah... Le Fastnet. Ca fait remonter des tas d'histoires de courses et de tempêtes... De quoi occuper les rêves pendant la sieste !

On a un passager clandestin, un pigeon voyageur qui se promenera sur le pont pendant presque 48h, apparement fatigué. Il s'envolera plusieurs fois, les premières fois simplement tournant autour du bateau et se posant à nouveau sur le pont, puis, un matin, sentant qu'il doit partir, il quittera le bord sans hésitation, directement vers la côte anglaise...

Et on se met au rythme des quarts. Pendant les deux jours qui vont suivre, j'ai l'impression que je n'ai fait que barrer, manger et dormir (sur la bannette ou sur le pont)... C'est ma première longue traversée, sans mettre pied à terre pendant plusieurs jours. Le deuxième jour sera un peu dur, mais au bout du troisième jour, je serai prête à continuer sur un tour du monde sans escale !

       

On vire de bord à midi pour un long bord vers l'Ouest, on est déjà loin au sud-ouest des Scillys. De la côte anglaise, on ne verra rien... A 19h nouveau virement.

C'est du boulot, aussi, un virement de bord sur un bateau pareil. Je resterai toujours au même poste, à la grand voile, à l'arrière. On ne peut pas virer toutes les voiles en même temps, donc dans un premier temps la trinquette et les huniers restent à contre. Si tout le monde peut être sur le pont, c'est aussi bien. Il faut surtout du monde à l'avant (focs), à la misaine et trois ou quatre à la grand-voile. Si j'ai bien vu, pour la grand-voile, c'est la même écoute qui passe d'un bord à l'autre. Quand le signal est donné, on se place sur l'écoute au vent et on ramène progressivement la grand voile dans l'axe du bateau. Le capitaine, à la barre, nous aide en donnant le rythme "Ho! Ho! Ho!". Puis une seule personne suffit pour bloquer, puis choquer progressivement l'écoute, maintenant sous le vent.

Pendant ce temps-là, à l'avant les focs ont été lachés et repris sur le bon bord (il faut des bras) et pareil pour la misaine, voile dangereuse car sa bordure libre est pile à hauteur de tête et balaye le pont en passant. Ensuite, il faut passer la trinquette, et également s'occuper des bras de huniers (on brasse, on brasse !), ainsi que des étais volants qui tiennent le grand mat, sur l'avant. L'ensemble, dans ce vent léger, prend une petite dizaine de minutes, quand tout le monde est prêt.

On reprend le quart à 20h avec toujours un cap plein nord et le Fastnet à 155 milles dans le 320... Mais mais mais, on recule ! Pendant ce quart le vent tourne légèrement vers l'ouest et on finit le quart avec un cap au 330. Le vent est irrégulier (autour de 15 noeuds) et le bateau avance entre 4 et 6 noeuds. A minuit le Fastnet est à un peu moins de 140 milles.

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